lundi 24 avril 2017

Nous n'avons élu personne, le mode de scrutin a parlé pour nous.

Je suis un abstentionniste convaincu, conscientisé, politisé. Pour un tas de raisons, que je peux détailler dans un prochain article si vous le souhaitez. Ou alors, venez m'en parler en privé, mes DM Twitter sont ouverts, mon Snapchat aussi, ma page Facebook aussi. Ceci dit une des raisons principales à mon abstention est le mode de scrutin.

"Qu'est-ce que le mode de scrutin ?", me direz-vous. C'est la façon de voter, tout simplement. En France, notre mode de scrutin s'appelle le scrutin uninominal à deux tours. Pour élire un président, c'est du suffrage universel direct uninominal à deux tours. Universel parce que tout le monde peut voter (même si ce n'est pas le cas puisque les étrangers et les mineurs ne votent pas) ; direct parce qu'il n'y a pas d'intermédiaire entre le peuple et le président (nous votons directement pour un mec ou une meuf, on ne passe par personne... les médias et les sondages ? Non, ça compte pas), uninominal parce qu'on ne choisit qu'un seul nom et à deux tours parce que visiblement De Gaulle était fan de Tolkien. Ce qui est fou, c'est que ce mode de scrutin semble normal pour presque tout le monde. On l'a tellement intériorisé que pour nous, c'est ça la démocratie. Même sur les sites gouvernementaux, on ne parle que des modes de scrutin déjà en place. On les présente comme les seuls existants, possibles, et envisageables... ça me sidère. Le seul candidat à en parler un peu aux élections présidentielles de 2017 était... Jacques Cheminade. Tout le monde s'en fout alors que c'est une des clefs de tout, changer le mode de scrutin est une urgence démocratique.

"Mais en quoi ce mode de scrutin c'est de la merde ?", me direz-vous. Pour un tas de raisons, une fois de plus. La plus évidente est la suivante : souvent, un candidat qui a énormément de chances de l'emporter se retrouve niqué par la présence de plus petits candidats, proches de lui. Ainsi, un candidat qui peut battre n'importe qui en duel, comme Bayrou en 2007, d'après les sondages de l'époque, ne se retrouve même pas qualifié au second tour. Du coup, deux façon de voter complètement anti-démocratiques ont vu le jour : le vote utile et le vote contre. Le vote utile c'est ne pas voter pour celui qu'on préfère mais pour celui qu'on déteste le moins parmi ceux qui ont le plus de chances de passer. Bonus : le vote utile engendre un magnifique cercle vicieux, les petits restent petits et les gros restent gros. Le vote contre, c'est voter pour quelqu'un  (paradoxal ? Non, quand on votre contre un, on vote pour un autre, désolé) qu'on ne souhaiterait pas voir élu, juste parce qu'on aimerait encore moins en voir élu un autre. Dans les deux cas, c'est légitimer quelqu'un avec qui nous ne sommes pas vraiment d'accord. Vous commencez à comprendre que ce système de vote ne représente pas notre véritable avis.

"Mais d'où cela vient, quel est le problème ?", me direz-vous. Et bien, dans "scrutin uninominal à deux tours", il y a deux termes clefs, qui puent la merde : le "uninominal" et le "deux tours". Commençons avec l'uninominal. Le candidat qui arrive en tête au premier tour, encore cette année, a obtenu 8 millions de voix, sur 50 millions d'électeurs... Et quelles voix ? La voix de quelqu'un qui vote pour et celle de quelqu'un qui vote contre auraient donc la même valeur ? On ne juge qu'un candidat, et en l'approuvant. Est-ce que je l'aime ou est-ce celui que je hais le moins ? Est-ce mon choix ou un choix "stratégique" ? Le vote "stratégique" est, lui aussi, un drame. Il s'agit de voter en exploitant les failles du système, et pas pour le candidat que l'on préfère (par exemple, le vote Valls à la primaire du PS aurait été un choix plus stratégique pour les électeurs de Mélenchon, bien que Hamon soit le candidat qu'ils préfèrent). Et des failles du système, il y en a aussi à cause des deux tours. Déjà, les deux tours renforcent les gros biais dont je parlais dans le paragraphe précédent. Vote contre, vote utile, vote stratégique, tout cela est différent, et est dramatique, il faut bien vous en rendre compte. Le système en deux tours provoque aussi une incohérence mathématique, le paradoxe d'Arrow (c'est assez complexe à détailler, checkez mes sources à la fin) qui fait qu'en progressant dans l'opinion, on peut baisser dans le classement. Arrow est un mathématicien qui a démontré dans son "théorème d'impossibilité" que le vote ne reflèterait jamais notre avis qu'il soit fait sous forme de classement, de liste ou de façon uninominal.

"Et il faudrait quoi pour que ça aille mieux du coup ?", me direz-vous. Et bien, maintenant qu'on sait ce qu'il ne va pas, on sait ce qu'on recherche. Un système de vote qui ferait que si l'on progresse dans l'opinion, on ne peut que progresser dans le classement. Un système qui ferait que l'ajout ou le retrait de candidats plus ou moins "petits" ne change strictement rien. Qui n'engendrerait ni vote stratégique, ni vote contre, ni vote utile. Qui ne se ferait ni sous forme de classement, ni sous forme de choix uninominal. Alors quoi ? Il faudrait juger les candidats. Individuellement. Alors, vous me direz, c'est assez simple, il suffit de virer les deux tours et l'uninominalité et d'exclure la liste puisqu'on a vu que ça fait un paradoxe mathématique relou et qu'une liste revient à faire une successions de tours. Du coup, on fait ça en un seul tour, et on met autant de papiers qu'on veut dans l'enveloppe, on compte qui a le plus gros pourcentage "d'approbation", et fin. C'est simple, rapide à mettre en place, et 10x mieux que le système actuel. Perso, je m'en contenterais, faute de mieux. Parce que oui, il y a mieux. Ce système là ne ferait pas la distinction entre les candidats qu'on aime vraiment et ceux qu'on tolère à peine. Alors quoi ? Il faudrait les noter ? C'est ce que propose Cheminade. Sauf que ça pose la question du barème, qui n'est pas le même chez tout le monde (demande à ma prof de philo de terminale qui disait que 8, c'est une très bonne note). Et puis, avec les notes, on ne règle pas la question du vote stratégique, puisqu'on pourrait mettre la note maximale au candidat qu'on aime le plus et la note minimale à tous les autres, même si on ne le pense pas vraiment, pour augmenter les chances de notre chouchou. Alors quoi ? Et bien, deux chercheurs du CNRS, Balinski et Laraki, ont trouvé la solution : le jugement majoritaire.

"Qu'est-ce que le jugement majoritaire ?", me direz-vous. Moi je l'appelle Saint Graal aussi. Mais concrètement, qu'est-ce que c'est ? Alors, en gros, ton bulletin de vote serait un tableau. En ordonnées (à la verticale, à droite du tableau) on met le nom de chaque candidat et en abscisses (à l'horizontale, en haut du tableau) on met 6 mentions : à rejeter, insatisfaisant, passable, assez bien, bien, très bien. Chacun fait une croix en face de chaque candidat, dans la case correspondante à la mention qu'on souhaite lui attribuer. Bien évidemment, on peut mettre plusieurs fois la même mention. Si tu n'as pas d'avis sur un candidat, la mention par défaut est "à rejeter" parce qu'un citoyen n'a aucune raison de vouloir comme représentant quelqu'un dont il ne sait rien. Une fois qu'on a toutes les voix, on les classe dans l'ordre, avec un petit graphique de barres empilées. Et on a déjà un bel aperçu de qui est apprécié ou pas. Ensuite, on prend la médiane des votes. C'est-à-dire le bulletin pile au milieu. Ce bulletin va tomber sur la "mention majoritaire" du candidat. C'est-à-dire, celle pour laquelle une moitié pensera que c'est "au plus" ça, et une autre moitié pensera que c'est "au moins" ça. On a plus qu'à comparer les mentions majoritaires, et le candidat qui a la meilleure gagne. Et si deux ont la même mention ? On utilise les pourcentages. On donne raison à l'ensemble d'électeurs le plus important parmi ceux qui pensent que le candidat valait plus (ou moins) que sa mention majoritaire. Cette phrase est floue, voici un petit dessin de Marjolaine Leray pour l'illustrer :




"Pourquoi est-ce à ce point génial ?", me direz-vous. Bah déjà, on juge chacun indépendamment des autres. On donne son avis sur tous les candidats, individuellement. Et un avis précis, proche de ce qu'on pense réellement. Il n'y a plus de petites candidatures (du moins, pas à cause du mode de scrutin, on ne pourra s'en prendre qu'au système plus général), personne ne "pique" des voix, chaque candidature est sur un pied d'égalité, chaque candidature sera jugée. Du coup, ça supprime automatiquement le vote utile et le vote contre. Et comme il n'y a pas de liste, que tout se fait en un seul tour, il n'y a pas de paradoxe d'Arrow. Tu progresses dans l'opinion, tu progresses dans le classement. Et le vote stratégique ? Il dégage lui aussi, parce qu'on fait une médiane et pas une moyenne. Exagérer ton vote pour aider ton candidat et/ou pénaliser les autres n'a aucune influence sur sa mention majoritaire. La médiane est très robuste face aux valeurs extrêmes. Il faudrait un pourcentage énorme de gens qui votent en exagérant beaucoup pour changer quelque chose. Je vous met un lien dans mes sources d'un blog qui explique ça vachement mieux que moi, avec des exemples et des chiffres. Ce système encourage la sincérité. Il encourage aussi à mieux s'informer sur les candidats et leurs programmes et à ne pas rester enfermé dans une bulle de fanatisme. Nous devons tous les juger donc tous les connaitre. Mais c'est pas tout. Le jugement majoritaire peut aussi redonner une force au vote blanc, qui n'aurait plus la signification multiple qu'il a aujourd'hui. Voter blanc signifierait clairement que le système représentatif présidentiel est à rejeter. S'il est majoritaire alors on change les choses en profondeur. Et c'est toujours pas tout. On peut aussi dire que si tous les candidats ont une mention inférieure à passable, on les dégage tous et on refait une élection. En plus, si un président est élu avec la mention "passable", c'est bien clair pour lui comme pour tous, vous ne l'avez pas vraiment légitimé, vous avez dit qu'il "passait". Enfin, le dépouillement se fait avec des machines, il n'y a plus de fraude possible, tout sera millimétré. Le jugement majoritaire, c'est un vote bien plus représentatif, bien moins aléatoire. Et comme il prend tous les avis possibles en compte (avec le vote blanc anti-système), il peut devenir obligatoire et je ne vois aucune raison de nous y opposer.

"Peut-on aller encore plus loin ?", me direz-vous. Perso, je pense que oui. Déjà, en développant le vote en ligne. En Suisse ou en Estonie, ce dernier s'impose de plus en plus, et ouvre de nouvelles perspectives incroyables. Par exemple, je pense qu'on ne devrait pas pouvoir voter sans connaitre au moins un peu les programmes de tout le monde. Les gens votent mais n'y connaissent rien du tout, c'est fou (lien en sources). Pourquoi ne pas faire un petit questionnaire en ligne obligatoire avant de voter ? Je sais pas, imaginons un QCM de 20 questions prises parmi un millier de questions possibles sur les programmes de chacun, et si t'as pas 12/20 minimum, bah tu connais pas assez pour pouvoir voter, tu votes pas. On ne devrait pas avoir de restriction autre que nos connaissances... enfin, après, c'est mon avis et j'avoue être un peu extrême sur ce point. Bon, admettons, gardons la notion d'universalité comme elle est aujourd'hui. Mais il y a d'autres biais affreux et anti-démocratiques. Déjà, pourquoi on vote pour un candidat ? On devrait voter pour un programme, genre on connaîtrait même pas leur gueules. Pas de pub à la télé, pas de sondages, juste des programmes. On s'informe dessus au mieux, puis on vote au jugement majoritaire et une fois le vote fait on découvre le parti et/ou la personne derrière le programme vainqueur. J'essaie juste de vous donner des pistes de réflexion afin d'améliorer un système profondément merdique. Je veux juste que vous vous en rendiez compte, la démocratie c'est cool, mais on peut faire tellement mieux. D'autant plus que tout ce dont j'ai parlé est dans le cadre d'un système présidentiel, de démocratie représentative. C'est peut-être pas ça la bonne solution non plus, ouvrons nos esprits, renseignons nous. Mais bon, pour que les choses changent, il faut changer la constitution. Convoquer une assemblée constituante. Cette année, un candidat en parlait. Mais le système en a choisi un autre. 

I'm back. L.

Note : Le jugement majoritaire a aussi des limites, il ne mérite pas le 20/20 ne n'est parfait. Les voici toutes (attention, anglais) http://www.eco.uva.es/presad/SSEAC/documents/ZahidPaperfinal.pdf Ceci étant dit, il mérite tout de même un 18/20. Il existe un autre mode de scrutin génial, le scrutin de Condorcet randomisé. Mais ce dernier est très complexe. En pratique, c'est très chaud à appliquer. Alors que le jugement majoritaire, lui, est très simple à mettre en place. C'est pour cela que je le préfère.


Sources :


- Le jugement majoritaire 2017, étude menée par le CNRS, Polytechnique, Dauphine et La Primaire : https://www.jugementmajoritaire2017.com/  d'où je tiens la petite illustration de Marjolaine Leray.

- Voici en PDF, un article dans la revue française d'économie des deux chercheurs qui ont inventé le jugement majoritaire : https://hal.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/760250/filename/2012-37.pdf

- Le Wikipédia du jugement majoritaire (qui cite ses nombreuses sources, ne paniquez pas en voyant wikipédia. Cette encyclopédie est aujourd'hui plus fiable qu'une encyclopédie classique selon une étude publiée dans Nature (le plus grand magasine de sciences dures au monde) par Oxford en 2014) :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Jugement_majoritaire

- Le théorème d'impossibilité d'Arrow, le paradoxe d'Arrow (attention : maths) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_d%27impossibilit%C3%A9_d%27Arrow 

- Le blog de science étonnante, une chaîne youtube scientifique géniale, checkez ça c'est très bien foutu, un chouette monsieur (qui lui-même cite ses sources) : https://sciencetonnante.wordpress.com... 

- Le vote en ligne (en Suisse et en Estonie notamment) : http://ethique-tic.fr/2011/vote-en-ligne/?page=references&categorie=presse

- Saint Alexandre Astier sur l'élection présidentielle : https://www.youtube.com/watch?v=sn-9reTg_ZY